La Symphonie Inachevée
Un président de société reçoit en cadeau un billet d’entrée pour une représentation de la Symphonie Inachevée de Schubert donnée dans le cadre du festival de musique de la bourgade où se trouve la principale usine du groupe. N’ayant pas envie d’aller en province, et aucun membre de la direction ne souhaitant s’y rendre, il se souvient que le chef du service organisation effectue une mission dans l’usine toute cette semaine là. Il lui demande de l’y représenter. Le lundi suivant, le président reçoit le rapport suivant :
Monsieur le Président,
J’ai observé avec attention le travail de l’orchestre exécutant la symphonie inachevée comme vous m y aviez convié. Voici les remarques que je pourrais vous faire.
Pendant des intervalles considérables, les quatre joueurs de hautbois sont restés sans rien faire. On devrait réduire leur nombre et de répartir leur travail sur l’ensemble de la symphonie, de manière à éliminer les périodes de pointe.
Les douze violons étaient à l’unisson, ils jouaient tous les mêmes notes au même moment. Cette duplication est dispendieuse et parfaitement inutile. Il serait bon de réduire drastiquement l’effectif de cette section de l’orchestre. Si un volume sonore est réellement nécessaire, il sera plus économique de l’obtenir par le biais d’un amplificateur électronique, disponible aujourd’hui à des prix très raisonnables.
Le coefficient d’utilisation du triangle est extrêmement faible. On a intérêt à utiliser plus longuement cet instrument, et même à en prévoir plusieurs, son prix d’achat étant bas, l’investissement serait très rentable.
L’orchestre consacre un effort considérable à la production de demi croches. N’y a-t-il pas là un raffinement perfectionniste ? Je recommande d’arrondir toutes ces notes à la croche la plus proche. En procédant de la sorte, il devrait être possible d’utiliser des personnels moins qualifiés, donc moins onéreux, voire des stagiaires.
Certains passages musicaux donnent lieu à des répétitions abusives. Est-il utile de faire répéter par les cors le passage déjà exécuté par les cordes ? Si tous les passages redondants de ce type étaient éliminés, j’estime qu’il serait possible de réduire la durée totale du concert de deux heures à vingt minutes. Notons incidemment que cela permettrait de supprimer l’entracte qui s’avère onéreux compte tenu de l’éclairage de la salle et du foyer.
Remarquons par ailleurs que dans bien des cas les musiciens utilisent une main uniquement pour tenir leur instrument. Ne pourrait-on introduire un dispositif de fixation mécanique articulé pour ce faire ? Cela libérerait les mains qui pourraient alors être occupées à autre chose. De même il semble anormal de demander aux instruments à vent des efforts par moment excessifs. Ne serait-il pas plus simple de doter l’orchestre d’un compresseur qui distribuerait l’air, sous pression adéquate, aux instruments concernés ?
Dernier point, l’obsolescence des équipements mérite d’être examinée de près. Le programme du concert précisait que le premier violon utilisait un instrument vieux de plusieurs siècles. En appliquant des échéanciers d’amortissement raisonnables, la valeur de cet instrument doit être quasi nulle aujourd’hui. Ne faudrait-il pas investir dans des équipements plus modernes donc plus efficaces ?
Nous pouvons conclure, Monsieur le Président, que si Schubert avait prêté attention à ces remarques, il aurait probablement été en mesure d’achever sa symphonie.